Angèle descend vaillamment les quelques marches qui la séparent de la plage, sa longue robe noire agitée par le vent, une main sur le ventre et l’autre agrippée à la rambarde, afin de conserver son équilibre précaire.A petits pas, elle marche sur le sable fin, laissant derrière elle des empreintes bientôt effacées par le vent.

ANGELE – (Les yeux embués de larmes, elle regarde la mer au loin.) Oh… douce mer qui m’a vue grandir… Jusqu’à aujourd’hui, ta présence m’a toujours été apaisante… Je me souviens, tu étais là le jour de notre première rencontre. Je te parlais comme maintenant… (Elle enlève ses chaussures, et entre un peu dans l’eau, dont le contact glacial la fait tressaillir.) Et j’étais dans cette posture… Il était tôt, très tôt. Tous les matins je me rendais sur la plage, et savourais ces instants de solitude… Mais ce jour-là, il est arrivé derrière moi, et m’a parlé. (Un vague sourire illumine son visage.) J’ai eu tellement peur que j’ai fait un bond immense ! (Elle rit, puis s’arrête.) Je ne savais pas ce qu’était le bonheur, à cette époque… Patiemment, il m’a aidée à me construire, chaque jour nous découvrions l’autre avec un peu plus d’émerveillement, chaque jour nous nous aimions, sans nous lasser…

Nos cris occasionnels étaient vite oubliés, vaincus par nos larmes et notre peur de nous perdre… (Elle reste un instant silencieuse, songeuse.)Mais notre amour était si passionnel… Un jour plus violent que nul autre, je lui ai dit de partir et ne jamais revenir, et… (Elle s’interrompt, incapable de continuer, étouffée par ses sanglots.) Il l’a fait ! Il m’a quittée et depuis, je ne sais ce qu’il est devenu… Chaque jour qui passe nous éloigne un peu plus l’un de l’autre, et pourtant mon amour pour lui ne cesse d’amplifier…

(Elle se laisse tomber lourdement dans le sable, et du bout des doigts trace lentement leurs initiales enlacées.) Où est-il aujourd’hui ? Et que fait-il ? Je ne peux croire qu’il se soit marié… Est-il capable d’aimer quelqu’un d’autre ? (Ses yeux s’illuminent soudain d’un éclat mauvais.) J’espère qu’il souffre ! Qu’il est comme moi, qu’il a perdu l’envie de vivre depuis qu’il est parti !... (Son visage se relâche, elle s’apaise un peu.) Oh non, mon bel amour, pardon… Mais si l’un de nous est malheureux, l’autre doit l’être aussi… J’aimerais en finir avec tout ça…

Comment le retrouver ? Il y a sûrement un moyen… Je ne pourrai passer toute ma vie sans lui à mes côtés, sans son odeur qui m’est si familière, sans ses rires, sans sa simple présence rassurante… (Son regard descend lentement et s’arrête à regret sur son ventre rond.) Et jamais je ne trouverai la force de l’élever seule, cet enfant que je porte en mon ventre… Le fruit de notre amour… Pourquoi ne lui ai-je pas dit, au moment de son départ, que j’étais enceinte ? (Elle crie.) Pourquoi ?

Pauvre petit, qui n’aura pas de père… (Elle se caresse doucement le ventre, une larme roule sur sa joue.) J’aurais tellement besoin de ses bras pour me réconforter…

Je me souviens d’un rêve que nous avions en commun… Une maisonnette, aux volets bleus battus par le vent, au bord de l’océan s’étalant à perte de vue… Une ribambelle d’enfants bruyants et joueurs, revenant chaque soir couverts de boue et de sable, des trésors plein les yeux… Notre rêve… (Elle pleure.)

La vie me paraîtra bien longue, sans lui… Chaque jour je verrai mon enfant s’épanouir, et en chacun de ses traits je lirai ceux de son père… de Gaël…

(Une longue plainte s’échappe de sa gorge.) Gaël… Il me semble que cela fait une éternité que je n’avais pas prononcé ce nom…

Lorsque le petit me posera des questions sur son père, je serai incapable de répondre… Et il n’aura ni frères ni sœurs pour l’entourer…

Je voudrais abréger mes souffrances, en finir avec cette vie qui m’a tellement comblée, qui m’a tellement fait souffrir…

Mais il y a ce petit être tout frêle et sans défense qui ne mérite pas de partir avec moi vers l’au-delà… Sa vie ne dépend que de moi. Pauvre petit bonhomme qui aura besoin de sa mère, lorsque la vie lui jouera des tours, à lui aussi…

(Lentement, elle se lève, et parle doucement.) Tu sais tout ce que j’espère, finalement ?...

J’espère que si la vie ne le fait pas, l’éternité, elle, nous réunira…

[Voilà à quoi je m'occupe, tandis que les autres travaillent, au bac de français... ^^]