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Et je suis jusqu'à la folie.

(Plus ancien que les précédents. Mais.)
Elle a la rage en son miroir.
Elle fouille ses cheveux de la main, esquisse une moue dégoûtée. S’empare de son sac, gravit les escaliers quatre à quatre.
Claque la porte.
Encore une journée qui commence par la morsure du froid. Elle relève son col, tremble. S’enfonce les mains dans les poches, pince les lèvres, et avance d’un pas décidé, jusqu’à l’arrêt de bus.
Encore une journée à ne pas comprendre ce qu’elle fait là, dans ce froid, ce qu’elle attend.
Elle se prend à penser à sa mère, qui est sûrement en train de vivre, dans la maison. Quand elle l’a laissée, elle était en robe de chambre, elle prenait son petit déjeuner tranquillement.
C’est la première fois qu’elle pense à la vie chez elle après son départ, qu’elle se demande où sa mère peut bien en être, maintenant. C’est la première fois qu’elle la sort du décor trop familier, qu’elle lui retire sa fonction d’objet, qu’elle lui accorde la vie.
Elle s’étonne de n’y avoir jamais pensé avant.
Tant qu’à faire, elle continue. Elle cherche à s’imaginer ce que son frère peut bien faire, puis l’autre. Le dernier dort, elle croit. Et son père ? Au travail.
Il y a une vie, au travail ? On est en mouvement, ou en suspension ?
Ce ne sont pas des questions stupides. Elle réalise qu’elle les a toujours mis en suspension, tous.
Elle pense à ses amis, un à un. Il y a trop de gens qui vivent, finit-elle par conclure.
Le bus arrive, deux phares dans la nuit. Comme une lueur de vie. Il y a trois passagers, elle leur cherche une histoire.
Elle s’assied, regarde dehors. Ils sont beaucoup à vivre. Elle tente de les penser individuellement, mais c’est dur. S’imaginer toutes ces vies en simultané, ça a quelque chose d’irréel. Comme un film qu’on trouverait mauvais par manque de crédibilité.
Un arrêt, une fille monte. Elle est dans sa classe, alors elle vient lui dire bonjour.
Cette fille est fatigante. Mais après tout, aussi humaine qu'elle. Est-ce qu’il y a des gens qui ne la supportent pas, de la même façon ? Pourquoi être soi, et non pas elle ?
C’est injuste, mais elle ne saurait dire pour qui.
Elle croise son propre reflet dans la vitre, des yeux elle cherche à savoir si elle est belle. Tourner la tête jusqu’à trouver un semblant de charme. Chercher sous quel profil s’aimer.
Se fixer jusqu’à s’en brûler les yeux, jusqu’à banaliser ce visage. Se demander à qui il appartient. Se contempler jusqu’à ne plus se reconnaître.
Et aimer l’inconnue qui se présente à soi. Pour toutes les possibilités qu’elle offre.
Pour sa vie qui semble encore à construire, pour la douceur de son visage impassible. Encore éteint.
C’est le prochain arrêt. Reprendre conscience de soi, détourner le regard. Sourire à un enfant, et éviter les yeux de l’homme, en face.
Appuyer sur le bouton. Se lever, et rougir. Comme pour s’excuser d’exister. Trébucher sur le vide.
Porte qui s’ouvre. Rejoindre le froid de l’hiver. Se rappeler la fille, de la classe. Ne pas l’attendre, ne pas l’éviter non plus. Un bruit de pas, elle l’a rejointe.
La littérature, j’en peux plus.
Acquiescer, tenter de sourire, échouer, s’arrêter au passage piéton.
T’en penses quoi, de la prof de maths ?
Esquisser une moue dubitative. Tenter un mouvement de bras, fendre l’air. Cela n’a aucun sens. La fille n’insiste pas.
Encore quelques pas, pour en finir. Le lycée se profile à l’horizon, elle se rembrunit. Beaucoup d’élèves devant, encore des vies.
Sensation d’étouffement. Elle tousse. Tremblements. Gagnée par la terreur.
Arrêter de penser, arrêter. Elle se persuade.
Inspire. Expire. A quoi bon des exercices de respiration, à ce stade ?
Elle s’énerve contre elle-même, contre son défaitisme. Elle ferme les yeux, les rouvre.
Le monde a vacillé, mais c’est passé.
Elle rejoint le groupe, salue d’un petit sourire.
Encore un matin. Un de plus. La vie est en cercle. Elle voudrait la penser sur un fil. Cela bouscule dix-sept ans de certitudes. Elle tente de supprimer cette image de rond, de retour toujours au même point, de recommencement perpétuel. Elle veut la remplacer par une longue droite, avec beaucoup de brouillard au bout. Et quelques soleils tout au long.
Elle préfère la vie comme nouveauté à chaque instant, comme réalisation de ce qui n’a jamais été. Elle ne veut plus penser que tout est vain.
Elle croit que penser le fil et le brouillard, c‘est bien moins rassurant, mais ça permet de sourire.
Elle veut lâcher prise, tenter. Sauter sur le tapis roulant sans fin de la vie, et participer.
Elle sourit en entrant dans la salle de classe, à l’idée du changement à venir.
Ecrit par Lissadell, le Lundi 13 Février 2006, 01:18 dans la rubrique "Things".





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